Monsieur Segret |
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90 ans, né à Saint-Gaultier, Indre |
« Avec un peu de persévérance,
on bouscule le monde. » |
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-V-
Qu’est ce que vous pensez de la ville de Sainte-Foy ? |
-M. Segret- Y’a eu beaucoup de changements tout
dernièrement. À la guerre 1940, y’avait plus
de pont. On passait la rivière avec un gué. Je l’ai
passé mainte et mainte fois à pied, l’été.
J’en avais jusqu’aux genoux, aux cuisses. Et les troupes
se sont servies de ce gué pour passer. Maintenant on a fait un
pont mais pas à la même place. Y’avait un pont
qui était malade et les allemands l’ont fait sauter.
Je suis pas sûr que ce soit les allemands… Je pense
que c’était le maquis.
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-V-
Moi j’avais entendu qu’il y avait cette charge explosive
sur le pont mais que c’était la foudre qui était
tombée dessus. |
-M. Segret- C’était une allumette. [rires]
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-V-
Vous êtes né ici ? |
-M. Segret- Non. Je suis né entre Marseille
et Paris. Ma mère a accouché dans le train… [il
attend notre réaction] C’est tout faux ! [rires] Je suis né à
Saint-Gaultier. Saint-Gaultier se situe entre Châteauroux
et Le Blanc. Donc je suis d’origine Berrichonne. Mon père
aussi et ma mère aussi. On est pure race. Si on peut parler
de race ou de caractère ou de méthode. Non c’est
vrai, je suis né à Saint-Gaultier le 21 mars 1915.
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-V- En pleine première guerre mondiale. |
-M. Segret- D’ailleurs mon père
est parti le premier jour et il s’est fait tuer en 17…
Mais ! je l’ai vu. Ce qui m’avait frappé
c’était ses bandes molletières pleines de
boue et le crâne rasé parce qu’ils avaient
tous des poux. Et ma mère m’avait dit : « Ton
papa va venir, ton papa va venir, ton pap… ».
Ma mère à ce moment-là, elle était
plus jeune que vous. Elle m’a eu, elle avait 18 ans. Pas
d’âge pour les femmes. Et je me souviens de…
pas de son visage… de son crâne. C’est affreux
un crâne les cheveux coupés à ras depuis quelques
jours. Un de son premier travail, ça a été :
dans la marmite, faire chauffer de l’eau et se laver les
pieds. Et après se laver le visage, se raser etc…
Ça je m’en rappelle.
Quant à moi, j’étais fleuriste à Paris.
Et… j’avais pas confiance en la monnaie, j’ai
acheté une ferme que j’ai améliorée.
J’avais 100 hectares à Saint-Martial. Je faisais
un peu de tout, j’avais entre autres 42 000 pieds de tabac.
J'étais un gros planteur. Moi qui ne fumais pas !
Et puis ma femme, elle était rosiériste, c’est-à-dire
qu’elle faisait la culture des roses et qu’elle les
coupait et qu’elle les vendait. Elle me dit : « Mais
je peux pas mettre ça ici heu… Il me faudrait une
petite maison avec quelques hectares autour… ».
J’ai trouvé ici, avec 8 hectares. Et on a monté
9 serres là-haut et puis une en bas. Mais en haut, j’ai
payé pour les faire démonter, j’ai trouvé
personne pour y travailler. Parce que, faut travailler le samedi
et le dimanche. Je suis ici depuis 61.
Quand j’avais 66 ans, j’arrosais à 4 pattes,
enfin, j’arrosais par-dessous les feuilles et puis la tête
m’a tourné… J’ai dit attention, c’est
un avertissement… j’abandonne. Mais j’ai pas
trouvé à vendre… Personne, même à
donner ! Je me suis pas fait suer. J’ai peur que ma
langue fourche [rires], j’ai
tout laissé. La végétation, ça allait
grimper là-dedans, pfff, c’est pourri tout ça.
J’en n’ai rien à foutre ! J’ai un
fils qui est fleuriste à Arcachon et une fille qui est
au Canada. Donc, ça les intéressait pas. Pourquoi
je m’embêterais ?
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-V- Vous aviez plus de temps libre alors ? |
-M. Segret- Bien sûr ! Et on a
voyagé. On avait une autre résidence à
Anglet. C’était très bien, mais je ne m’y
plaisais pas. Heu, j’aimais bien le samedi à Sainte-Foy.
J’allais faire un petit tour au marché et je retrouvais
des gens de Monpon, de Mussidan… On parlait un petit peu
patois. Enfin, l’air du coin me plaisait. La seule dispute
que j’ai eue avec ma femme, elle me dit : « Ho
bein dit donc, la semaine prochaine, on ira à Anglet ».
Le lendemain qu’on était à Anglet, je m’y
ennuyais, je dis : « Je rentre ! ».
Puis… silence dans la voiture. À environ 100km
quand même, je la regardais… en même temps
qu’elle me regardait, bein, on éclatait de rire
tous les deux, [rires], on s’embrassait
puis c’était fini. C’est la seule dispute
qu’on a eue en 53 ans de mariage.
Au fond, à Sainte-Foy, y a plus de commerces. Dans toutes
les rues, y’avait des petits commerces. Mais maintenant,
on connaît plus personne. On parle plus à personne.
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-V- Quels lieux fréquentiez-vous à Sainte-Foy ? |
-M. Segret- J’étais très
ami… j’ai marié ma fille chez Mado. C’était
une femme qui était âgée mais qui était
excellente cuisinière. Un soir ou un dimanche, je dis à
ma femme : « tiens, je t’emmène au
restaurant ». Pour qu’on soit un peu dans l’intimité,
qu’on soit un petit peu tous les 2. Alors on allait manger
chez Mado.
Et puis alors, y avait la foire à la Toussaint. Ça
ramenait un monde fou ! Jusqu’ici y avait des charrettes,
des voitures à cheval ! [il montre du doigt le bas côté en face de sa maison]
Les gens venaient de loin ! J’ai vu des gens venir
de Saint-Barthélemy-de-Bellegarde, qui se trouve déjà
à une dizaine de km de Monpon, avec une voiture à
cheval, pour voir la foire ! Y avait une ambiance du tonnerre !
Tout le monde était à touche-touche, alors que la
dernière foire, là… y a plus personne. Faut
dire que tous les marchés en France ont beaucoup perdu
grâce, si on peut dire grâce, au Leclerc, à
toutes les grandes surfaces.
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-V- Quels sont vos loisirs ? |
-M. Segret- J’en ai eu, mais je n’en
ai plus. J’ai eu plusieurs femmes… femmes de ménage ! [rires. Il réfléchit].
Ha… À l’époque j’ai eu une 6 Chevaux
Renault Torpédo avec le capot incliné… Mais
ce qui y avait, c’est qu'elle était difficile à
mettre en marche. Mais quand elle était partie [il
siffle], le frein à pied, le frein à main…
on serrait même les fesses et on attendait que ça
passe [rires]. C’était
ma première voiture. Je l’avais acheté 1200
francs. Après j’ai eu toutes les séries Citroën.
J’ai eu une C6, mais ça consommait trop, j’ai
eu une C4, puis après ils ont fait la C4G qui était
très très bien. Et puis après j’ai
eu la traction-avant, ça c’était la reine
des voitures ! Après je suis rentré dans les
modèles étrangers, Mercedes… Il m’est
arrivé d’aller à Paris dans la journée !
Je partais le matin de bonne heure et je soupais le soir, là.
Les moteurs, on les économise pas. J’avais une Opel
Cadette pour livrer les fleurs, parce qu’elle faisait camionnette
et puis, j’avais une grosse voiture parce que je roulais
beaucoup.
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-V-
Est-ce qu’il y a un événement qui vous a marqué ? |
-M. Segret- Oui… La mort de ma femme.
Jamais j’aurais cru qu’un cœur puisse aimait
comme ça. Quand elle a été décédée,
le même mois, j’ai maigri de 10 kg. Et depuis qu’elle
est morte, tous les jours y a des fleurs à sa photo. Ça
était le coup de masse. [l’infirmière
arrive]. Tenez, vous allez assister à mon martyre [rires]. Ça me fait mal !
Ça me fait mal ! [rires. L’infirmière
lui pique le doigt]. Et en plus, c’est fait avec
le sourire… C’est énorme !
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-V-
Un coup de gueule ? |
-M. Segret- Oui, heu, la politique. Ce sont
tous des menteurs qui vous promettent monts et merveilles et puis
tous se foutent du pognon dans les poches et le pauvre couillon
qui bosse, lui, il a rien [rires].
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-V-
Vous avez des photos de Sainte-Foy ? |
-M. Segret- J’ai des photos d’à
peu prés tous les pays, sauf de Sainte-Foy.
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-V-
Si là, avec votre femme, y a une photo. On peut voir le
Caveau sur votre droite. Vous l’avez connu ? |
-M. Segret- Bien sûr. J’y étais
comme ça pour prendre un pot mais j’ai passé
l’âge de danser. Mais enfin, ma femme, elle aimait
pas les boîtes. On aimait mieux aller à La Vieille
Auberge. Y avait un bon cuisinier à La Vieille Auberge
et puis… Chez Mado. Chez Mado, c’est Super U qui est
là. C’était un relais de poste. C’est-à-dire
que j’ai connu ça en 1935 avec 200 chevaux. Un représentant
qui venait à Sainte-Foy par le train mais qui voulait aller
à Pineuilh, il prenait l’attelage pour la journée
ou une demi-journée ou autre… Et c’était
la vie de Sainte-Foy. Parce que je sais pas ce que ça peut
vous représenter… 200 chevaux !
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-V- Vous auriez
une anecdote à nous raconter ? |
-M. Segret- Je suis partie de chez mes parents,
j’avais 14 ans. Dès que j’ai eu mon certificat
d’étude, j’ai été apprenti horticulteur.
J’ai donc été travaillé à Tours,
à Angers, à Vendôme, à Nantes…
Et j’étais un garçon pas recommandable. Pas
du tout. À Nantes, y a 2 marines : la marine marchande
et la marine militaire et quand on descend dans la fosse…
y a de la bagarre. J’ai jamais été à
l’hôpital, je me suis toujours sauvé. Mais
le dernier coup, j’étais à la fosse, y avait
une bagarre, j’avais quoi… à peine 18 ans…
j’avais un revolver 9/65, cuire, équipé comme,
heu… comme les voyous ! [rires].
Ça m’empêchait pas d’aller à la
messe. Alors, ce jours-là, à Nantes, y a une bagarre
qui éclate. C’est la seule fois que j’ai vu
un homme… prendre un verre à café… c’est
épais !… Et y avait un jeune marin qui le bousculait,
il a pris son verre et crack… Il l’a broyé ! [il siffle]. Alors les bouteilles,
ça passait à gauche, à droite [il
imite le bruit des bouteilles qui volent]. J’étais
près d’une table, je me suis pas occupé de
ce qui était dessus et je me suis abrité derrière
et j’ai sorti mon pétard et pan ! Sur la grosse
lumière du centre. Et puis après j’ai dit :
« mettez vous à plat ventre, j'vais tirer dans
le bar ! ». J’étais gonflé.
Et j’ai tiré où y avait les bouteilles. Ça
faisait ding dong ding ding ding ! Puis je reculais progressivement,
parce que j’ai dit : « ils vont fermer la
porte tout à l’heure ». Mais je suis arrivé
à la porte avec ma table, y avait un tramway qui arrivait,
j’ai sauté dans le tramway. Et puis le matin, j’ai
été voir mon patron, je lui ai expliqué.
Et il m’a dit : hé bien, je vous trouve une
place à Vendôme, tiens ». Et la j’ai
dit à Nini : « C’est-fi-ni, je ne
fais plus l' con. Je bosse ». Parce que je bossais
bien. Quand j’avais 17 ans, je gagnais autant d’argent
que mon oncle qui était au Métropolitain. Il me
montre sa feuille de paye et je lui dis : « C’est
pas vrai, ils se foutent de ta gueule, ils te payent pas ! » [rires] et moi je gagnais déjà
700 balles.
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-V- On peut
vous prendre en photo ? |
-M. Segret- Bien sûr. Habillé
ou heu… ? |
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M. Segret raconte son anecdote (3 Mo) |
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17 décembre 2005, Le Fleix, domicile
de M. Segret |
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