Carole Jardry

 
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50 ans, né aux Laurents, Saint-Antoine-de-Breuilh
« On fait pas le bien quand les gens sont morts, on fait le bien avant. »
 
-V-  Alors vous connaissez bien le pays foyen ?
-Carole- Moi ça fait 35 ans que je l’ai quitté. Alors moi j’y vais une fois tous les 2 ans, une fois tous les 6 ans, des fois 20 ans que j’y vais plus. Et j’hallucine, c’est incroyable comme ça peut changer ! Ils ont fait des ponts, tu sais. Tout est rasé, y’a plus de céréales ! Bon tu sais j’ai de la famille là-bas. J’ai mon frère qui est infirmier, ma sœur qui est sur la retraite, j’ai mon frère le pompier avec qui chui fâchée, mais bon, on va pas rentrer dans les détails. Moi vous savez, je suis transsexuel et je pense que si mes parents étaient encore en vie, je crois que j’aurais pas fait ces transformations. Mais ça, j’ai fait mon choix. Ça serait à refaire, je ferais pas.
Je me suis gâché la vie. Bon, j’avais une bonne situation, j’étais à l’école hôtelière, après, j’ai fait la coiffure et après, je me suis ouvert un bar de nuit, deux bars de nuit, et puis je me suis prise dans cet engrenage pour l’argent. Pas pour la prostitution, j’ai jamais fait ça, mais moi j’étais un peu rapace, vous voyez, je voyais les sous arriver, j’étais aux anges
[rires]. Plus je dansais, plus je faisais des spectacles, plus je buvais, plus je me rapportais des sous. Et arrivée à 50 piges, comme moi, passés, j’ai des regrets mais je suis bien dans ma tête, je suis pas déprimée. Je m’assume très très bien mais quand même, quand même… y’a du remord.
 
-V-  Vis à vis de la famille ?
-Carole- Non. Par ce que je n’ai rien à me reprocher de la famille. Je trouve ça nul figure-toi. Quand j’étais homosexuel, j’étais très beau garçon. Ensuite je suis très bien avec les femmes. C’est pas parce que je suis transsexuel que j’aime pas les femmes. Je suis un peu homme et femme. Bon c’est pas un handicap pour moi, mais mes frères et mes sœurs m’ont beaucoup refoulée. Tant que j’étais homo, homo, garçon, garçon, garçon que tu connais, comme ton copain qui fait de la cuisine là […Fred …rires], j’étais pris en considération de ma famille, des voisins, des gens avec qui j’étais à l’école, les foyens, la Dordogne, Sainte-Foy, tout le monde… et quand j’ai fait mes transformations, ils n’ont pas du tout accepté, du tout. Y’a eu un décalage, c’est-à-dire de mentalité. Ils ont vu un garçon devenir femme. C’est sûr que j’étais canon y’à 25 ans. Vous avez vu des photos de moi ? Ha, mais je vais vous les montrer !
 
 
 
 
 
 
-V-  Vous êtes partie à quel âge de la région ?
-Carole- Je suis partie j’avais 14 ans. Je suis partie à la Bourboule à l’école hôtelière.
On était 12 : 7 frères et 5 sœurs. Et y’a un décalage énorme parce que moi j’ai été sevrée très très jeune. Je voulais ma liberté. C’est comme les jeunes filles qui à 12 ans, 13 ans, à la puberté, veulent partir. C’est pas des fois ce quelles font le mieux mais elles veulent partir. Et mes frères et sœurs, ils sont restés, ils ont fait des études très poussées. Ils ont été couvés jusqu’à 24 ans, 26 ans, chez mes parents. Ils sont vraiment des gens cadres. Et moi, je suis pas malheureuse, je suis pas à la rue, non, je suis pas une clocharde, loin de là
[rires], mais quand même pour eux, c’est pas un métier… Ha ! me photographiez pas, je suis très laide en ce moment.
Quand je retourne à Sainte-Foy, je ne reconnais même pas les gens. Quand j’y allais le vendredi, le samedi, avec des copines, on allait dans les bars.

 
-V-  Vous alliez où ?
-Carole- J’allais à côté du Commerce. Quand j’étais à l’école à Saint-Antoine, y’a une petite gamine qui allait à l’école avec moi, Et quand elle m’a vue y’a, 5, 6 ans, elle était là… [Carole fait un air ahuri]. Hé ben, si elle savait que j’étais à l’école avec elle. Quel choc, quel choc ! Et mes proches me disent : « Oui mais tu comprends, ils savent pas qui tu es. Ils te prennent pour une vedette de cinéma, pour un truc de la télévision, ça perturbe tout le village. Il faut pas trop que tu viennes ». Mais moi je faisais rien pour me montrer ! J’étais normale ! Moi dans la vie je suis normale. Je parle normalement. Moi, c’est pas un tabou pour moi. C’est un tabou pour les autres mais pas pour moi. Les gens se font des films sur moi. Ce sont souvent les plus hypocrites. Alors les garçons ils disent : « Oui, c’est un transsexuel ». Je lui dis : « Écoute, crache pas dans la soupe, t’as couché avec moi, alors… [rires] T’as bonne mine de me critiquer. » Mais c’est la société. Je dis pas la société en général, mais y’a 50/50 c’est de l’hypocrisie. J’aime les femmes et les hommes, c’est pas interdit !
Mais c’est bien Sainte-Foy, j’ai connu le bar
[elle réfléchit] avant d’arriver au jardin public, au milieu, tu vois ?

-V-  Ha oui, c’est l’Ano ? [Anomalocaris]
-Carole- Moi quand je vais chez mon frère, le dimanche, tout est fermé. Mais je fais qu’aller / retour.
 
-V-  Votre frère habite toujours à Saint-Antoine ?
-Carole- Il habite aux Laurents toujours mais il est hospitalisé à Sainte-Foy en ce moment pour des problèmes de santé. Il a maintenant 79 ans, un truc comme ça. Et j’ai mon frère qui était pompier à Port-Sainte-Foy, il est à la retraite.
 
-V-  Et il vous reste des neveux et des nièces à Sainte-Foy ?
-Carole- J’en ai une qui est pharmacienne, qui est pas la patronne, je vais pas mentir, je suis pas une mythomane, elle est responsable et elle y sera jusqu’à sa retraite. Elle est comme un genre de gérante.
 
-V-  Vous n’aviez pas un neveu qui tenait le bar des Arcades ?
-Carole- Oui aussi. Y’a 25 ans. Il s’est marié avec la fille de la patronne et lui, il est cheminot. Et qu’est ce qu’il faisait des fois le week-end, il donnait un coup de main au bar mais amicalement. On le croyait le patron mais c’était le gendre du patron. Dans mon bar, rue de Ruat, moi, je l’ai reçu comme un prince. […]
Quand on me voit à Bordeaux, on est très surpris du phénomène par ce que j’avais une forte poitrine, j’étais très excentrique, ça intrigue les gens !

-V-  Vous êtes issue d’un milieu rural mais vous n’avez pas été attirée par le travail de la terre ?
-Carole- Oui oui y’avait des vignes, y’avait des céréales, y’avait du tabac, y’avait du blé… Mes parents étaient propriétaires de 3 générations. J’étais à l’école mais mes parents m’avaient mis chez les curés en Corrèze, parce qu’ils avaient des doutes que j’avais été homosexuel. Ma mère, elle était étonnée, je faisais toujours les tâches ménagères. Je faisais la vaisselle, je tricotais, je m’occupais de mes sœurs. Alors elle me disait : « Va au cinéma, va danser avec tes frères et tes sœurs. » Mais j’étais toujours dans ses jupons, je cherchais ce que je voulais devenir. J’aimais beaucoup les garçons en étant garçon. Et puis après, je suis partie, je suis partie, je suis partie et puis je suis partie. Je suis partie à la Bourboule est j’ai connu du monde huppé, très riche.
 
-V-  C’était un autre milieu que celui de vos parents.
-Carole- Pas pour ça, parce que j’étais gavée chez mes parents. Financièrement, j’ai des parents adorables qui m’ont beaucoup gâtée. J’ai tout eu, la totale : les costumes, les chaussures… On était des paysans mais embourgeoisés.
 
-V-  Vous aidiez vos parents de temps en temps ?
-Carole- Mais justement c’est que ça n’allait pas ! Alors je suis partie et je suis revenue. Je suis passée par la Côte d’Azur, où j’étais barman dans les bars branchés. J’ai fait beaucoup de route, heu, financièrement. J’étais vraiment très reconnu pour ce que j’étais mais en bien. Parce que j’aimais les deux. J’aimais les femmes et les hommes. J’étais très homo un petit peu mais j’étais homo-femme en étant déjà dans ma tête transsexuel. J’ai beaucoup d’amies femmes et j’ai pas d’amis homosexuels du tout. J’ai toujours des potes femmes. Je suis restée un peu garçon, un peu macho.
 
-V-  Est-ce que vous vous rappelez d’un événement qui vous a marqué ?
-Carole- J’avais 7, 8 ans, on avait été inondé. Ça m’est beaucoup resté. La Dordogne avait débordé. La Dordogne avait débordé jusqu’à Bergerac. On a tout perdu, la récolte, heu, c’était comme, vous savez, la grosse vague là, le Tsunami.
 
-V-  Vous connaissez Pessac (sur Dordogne) ?
-Carole- Oui je connais puisque j’allais danser avec mes frères et mes sœurs. Y’avait des guinguettes, des bals musettes. Et figure-toi qu’on allait là-bas parce qu’ils faisaient des courses de bateaux, des petits bateaux… [elle réfléchit…] Des canoës, c’est ça ! Je cherchais le nom, des canoës !!! Tous les gens venaient de très loin pour voir ça. C’était spectaculaire !
 
-V-  Vous avez un surnom ?
-Carole- Ha chez moi, on m’appelle Jacky. Moi, mon vrai nom c’est Jacques, Jean-Marie.
 
-V-  Et pourquoi vous avez choisi Carole ?
-Carole- Je sais pas pourquoi. J’aime beaucoup ce nom. Dans les cabarets on me disait : « Ho tu sais ! pourquoi tu t’appellerais pas Carole ? Carole, ça t’irait bien. T’es un personnage, ça t’irait bien ». Sur Bordeaux, je suis la Tour Eiffel, mais je suis connue en bien, pas en mal hein. Maintenant comme je dis, on peut pas plaire à tout le monde. [Elle nous invite à aller regarder les portraits d’elle, accrochés au salon]
 
 
 
 
[De retour dans la cuisine]
-Carole- Moi, j’adore les enfants, les papis, les mamies mais… les bêtes, les bêtes quand on en prend, on les met pas dans le rue. Mais moi, j’en veux plus parce que c’est beaucoup de travail. Chez mes parents, je prenais toujours les chats dans mon lit et ma mère me disait : « attention Jacky, ton père va arriver et il va vouloir te disputer ». Et mes frères disaient : « Hé, elle a pris les chats ! ».
 
-V-  Vous aviez une grande maison ?
-Carole- Ho oui ! aux Laurent. Là, y’a un truc hippique, et ben c’était mes parents qui avaient la propriété. Quand ils sont décédés, ils ont vendu. Et j’ai une de mes nièces qui travaille à la fromagerie des Chaumes. C’est elle qui gère la paye des employés… [On regarde l’album photo]… J’aurais aimé que tu fasses un petit bouquin sur moi.
 
-V-  Vous avez un coup de gueule ?
-Carole- Non, un coup de gueule à ma famille qui est très nulle, c’est tout. Ma mère était fille unique. Ma grand-mère était très méchante avec ma mère parce qu’elle pouvait pas aller danser avant 21 ans. Elle lui disait : « T’iras danser quand tu seras mariée. T’iras danser avec ton mari ». Mon père, qui était journalier à la propriété, ma mère est allée lui dire, elle avait 16 ans : « Tu veux te marier avec moi Henri ? » et lui, répond : «Et pourquoi tu me demandes ça ? Je suis tout petit à côté de toi. Ta mère est une sainte femme et une méchante femme et très riche. Moi je suis un domestique. Jamais elle acceptera ». Et oui, c’était dégradant. Comme une châtelaine qui va s’encanailler avec un voyou, une crapule, un fils de bas niveau. Alors elle a dit : « tu vas coucher avec moi, tu vas devenir mon mari et après j’irai danser ». [rires] Alors, tu penses, ma grand-mère à l’époque surveillait sa fille, alors elle comptait les mois… pas de règles…
« T’as pas fait des bêtises, mais t’as pas tes règles ! t’as 16 ans, qu’est-ce qui se passe ? » et elle vomissait. Ma grand-mère emmenait sa fille au docteur à Vélines et lui dit :
« Voilà, elle fait que vomir ». Et le médecin de lui répondre : « Bon, écoute Irène, tu sais ta fille, elle est pas malade du foie ! elle est enceinte de 2 mois ».
La grand-mère répond : « Mais qui c’est mais qui c’est ? » Et la fille dit : « C’est le journalier ».
Et le journalier, c’était un gars du peuple ! c’était un garçon qui faisait des journées comme ton père, pour faire les vendanges, pour le jardin, pour tailler les vignes. Bon, c’était pas dégradant mais pour ma mère, il fallait quelqu’un du même niveau financièrement, avec des propriétés, des maisons… C’est plus à la mode tout ça… Y’en a encore, Y’en a encore, Y’en a encore.
[…]
Je suis la dernière de la famille, j’ai pas d’héritier, je suis toute seule, je vais faire un don pour la SPA. Si j’ai besoin de vendre ma maison, je vais être en viager si j’ai pas de sous, pour me faire une belle rente, et si j’ai des sous, je veux que la maison et les sous aillent à la SPA. Je veux pas que ma famille ait une chaise de chez moi. Ni une fourchette, ni un couteau. Voilà. Parce qu’il ont été moches avec moi, très moches
[…]
Des fois, ils m’appellent, ils me disent : « Alors Jacky, comment vas-tu ? ça s’est bien passé pour Noël ? »
« Oh, j’étais avec mes chiens et mes chats, je me suis mangé un sandwich, toute seule, voilà… voilà… et puis le froid, le froid… » Alors je dis : « Écoutez, vous arrêtez de me taquiner là, de m’embêter. »
Ça a beaucoup fait d’histoires, parce que j’était un petit peu très crue, directe, et des fois, la vérité n’est pas très bonne à dire, tu comprends ? J’aime pas les injustices. Je veux pas qu’on me fasse la morale, j’ai pas besoin d’une thérapie, juste un petit coup de fil.

 
-V-  Avez- vous une anecdote à nous raconter ?
-Carole- Une fois, j’étais à Montalivet, faire du nudisme, avec une copine à moi. On était dans une Mercedes, on faisait 140 dans un village, les gendarmes et les motards nous suivaient ils nous disaient : « Arrêtez-vous, arrêtez-vous ! » et moi, le foulard dans les cheveux, la décapotable, les seins au vent… et là… je descends… c’était un Jardry !
- « Mais non, mais tu… mais tu… mais tu es mon oncle ! » qu’il me dit.
C’était mon neveu ! à Montalivet, gendarme !…
[rires]
 
-V-  Et vous comptez revenir vivre un jour à la campagne ?
-Carole- si je reviens à la campagne surtout, c’est surtout pour avoir de la salade, des carottes, faire le jardinage… [rires] Mais je ne pense pas que je revienne. Je crois que je me ferais un film, je reverrais toute mon enfance, et j’irais tous les jours au cimetière voir mes parents, ça va trop me traumatiser. Je suis quand même dure à parler mais à l’intérieur, ça bout.
 
 
Carole réécoute l'interview (1,1 Mo)
 
 
23 novembre 2005, Bordeaux