Paulette Rocher

 
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Dans la série des interviews d’artistes pour les éditions Supernature.
 
73 ans, née à Monségur
« Je mets mon grain de sel partout. »
 
-V- Quel âge avez-vous ?
-Paulette- Je suis année de feu. Je suis le Front Populaire. J’ai 73 ans.
 
-V- Êtes-vous du pays foyen ?
-Paulette- Je suis de Monségur, et j’habite ici depuis 30 ans. J’ai travaillé à l’hôpital de Sainte-Foy, alors je fais partie de la ville quoi. Je connais tout le monde. Je fais un petit peu de tout, suivant l’inspiration, suivant des photos… Mais c’est par période, parce que là, je crois que ça fait un an que j’ai pas pris les pinceaux.
 
-V- Ça dépend de quoi ?
-Paulette- J’ai été malade. Mais il faut que je m’y remette, et à ce moment-là, je vais retravailler. Mais je travaille plus facilement dans un atelier, parce que là, je me sens obliger de travailler. Tandis que chez moi, je me disperse beaucoup.
 
 
-V- Quel genre d’atelier ?
-Paulette- J’anime un club, 2 jeudis par mois, d’activités manuelles, pour des gens qui sont à la retraite. Je leur fais faire de la peinture tout support, des collages, un peu de tout, ce qui les amuse. Ce sont des femmes d’agriculteurs qui ont monté cette association. C’est très enrichissant pour elles, parce qu’au fond, ça occupe l’esprit pendant plusieurs jours.
 
-V- Ont-elles des thèmes qu’elles abordent plus facilement ?
-Paulette- Souvent c’est pour leurs familles, pour faire un cadeau. Ça stimule comme ça. Elles peignent des paniers, autrement c’est plutôt peinture sur bois, sur verre. Et avant j’étais animatrice à l’hôpital de Sainte-Foy.
 
-V- Qu’est ce que vous y faisiez ?
-Paulette- Là, j’avais un atelier d’ergothérapie. J’y suis restée 20 ans. Et avant je travaillais à Monségur, à l’annexe de l’hôpital, en psychiatrie. J’ai travaillé 15 ans là. Et j’ai fait 7 ans avant à Hendaye, auprès d’enfants. Pour moi-même, j’ai fait pas mal de stages d’activités manuelles. Donc j’ai touché un petit peu à tout. J’ai fait de la sculpture, des vitraux, de la poterie, de la peinture sur soie, de la laque de Chine. Mais sinon après, je le réalise pas à la maison, parce que je suis pas stimulée. Dans les ateliers, ça me pousse. Là, je bricole tout le temps. Je ne sais pas m’astreindre à être disciplinée. Je me disperse. C’est mon caractère hein. Il faut de tout pour faire un monde. Les personnes du signe du capricorne, sont toujours persévérantes. Tant qu’elles n’ont pas réalisé une activité manuelle qui leur convienne, tant qu’elles sont pas au bout, elles continueront dans cette matière. Alors que moi, j’ai toujours envie d’apprendre autre chose, pour apprendre aux autres. Alors que d’autres, c’est souvent une démarche personnelle.
 
-V- C’est vous qui avez fait ces tableaux ?
-Paulette- Oui, voyez, c’est très varié, y’a pas de thèmes vraiment. Je fais beaucoup de peinture sur porcelaine.
 
 
-V- C’est une reproduction ?
-Paulette- Là, j’ai décalqué. Quelques fois, je fais à main levée.
 
-V- Vous avez un support de prédilection ?
-Paulette- J’ai fait pendant longtemps de la peinture sur bois. Parce que le soir, sur des petits supports, ça m’apportait une détente, tout en écoutant plus ou moins la télé. J’ai le bruit de fond, la lumière qui remplace le feu de bois. Autrement dans les ateliers, j’aime beaucoup l’aquarelle, la peinture à l’huile.
 
-V- Cela vous est-il arrivé de peindre un paysage, dehors, en direct ?
-Paulette- Je pourrais le faire, mais je ne suis pas stimulée avec une monitrice qui dit : « allez, vous allez peindre ». Chez moi, je fais du travail de femme, du repassage, de la couture, n’importe quoi. Ça me prend, je fais des animaux en tissu, des poupées, des sacs, n’importe quoi, mais je me disperse ! Je commence un ouvrage, et puis je vais dans l’autre pièce, je trouve autre chose. Tiens, avec ce bout de tissu, je pourrais faire ça. Et puis, 2 heures après, je trouve autre chose. Et la journée c’est passée, que j’ai rien réalisé, mais j’ai beaucoup rêvé. On dit que c’est ce que l’on rêve qui est le plus intéressant. Depuis que je suis jeune, j’aimerais faire de la sculpture, et dans un stage j’ai fait des statues de modèles vivants qui posaient nus, et je sais qu’elles sont belles. Je sais que j’ai le sens des formes et des volumes. C’est pour ça, je trouve dommage de ne pas avoir persévéré.
 
 
-V- Vous auriez pu en faire votre métier ?
-Paulette- J’avais fait un stage, quand j’avais 18 ans. Pour faire le BAFA, j’avais touché la terre, et j’avais envie de partir à Vallauris à ce moment là, faire de la poterie. C’était l’époque, c’était en 1955-56, par là, la période de Vallauris. Mais je n’y suis pas partie. Et puis je suis partie travailler dans les maisons d’enfants… Je sais que j’ai l’œil, mais je ne le fais pas. Par contre, je sais critiquer tout le monde. Alors y’en a qui font la tronche. Certains me regardent d’un drôle d’œil, l’air de dire : « Et toi, qu’est ce que tu fais ? ». Inspecteur des travaux finis.
 
-V- Vous côtoyez d’autres d’artistes ?
-Paulette- Non. Moi, je n’ai pas de formation vraiment. Je sais reproduire ce que je vois. Mais je n’ai pas le don du dessin. Je ne sais pas faire de création vraiment.
 
-V- Donc à chaque fois, vous avez besoin d’un modèle.
-Paulette- Vous me donnez un modèle de 5 cm, je vais vous le faire en grand. Je devrais essayer sans modèle, mais c’est la paresse. Enfin pas la paresse, mais la dispersion. Tout m’intéresse, mais faut que je sois encadrée.
 
-V- Vous aimez acheter les œuvres d’autres artistes ?
-Paulette- Oui j’achète quelquefois.
 
-V- J’aime bien le mélange des genres dans votre manière d’exposer vos objets…
-Paulette- Oui, ça ça fait très Louis XIII. Et puis alors l’autre jour ma petite fille avait mis son vieux réveil pour le vendre dans un vide grenier, puis moi je l’ai récupéré. J’ai un peu de tout. Là bas, j’ai un Raku qu’une copine potière a réalisé, et elle va mourir d’un cancer du pancréas elle aussi. C’est un samouraï que je lui ai acheté il y a une dizaine d’année.
 
 
 
-V- Les lampes, c’est vous aussi ?
-Paulette- Oui, ce sont des lampes en soie que j’ai réalisé. C’est très agréable comme lumière.
 
-V- Quel est le principe ?
-Paulette- Je mouille la soie, je la mets sur un plastique, je la chiffonne pour donner des formes. Après avec le pinceau, on met des couleurs variées, et après on met du sel si on veut que ça fuse. Et puis je laisse sécher. Et le lendemain, je le lave et je le repasse. J’aime bien parce que c’est assez imprévu, les couleurs, les formes.
 
 
 
-V- Vous êtes bénévole dans votre association ?
-Paulette- Maintenant que je suis à la retraite, la vie est plus difficile, le salaire est bien plus bas. Je demande une petite participation au frais. Souvent je leur termine leurs ouvrages à la maison. Souvent, elles font des tableaux en 3D, alors je leur fais les encadrements. Je sais faire les encadrements, mais c’est casse-pied, alors j’achète les cadres tous prêts. Et puis je leur fais la profondeur.
 
 
-V- Quelle est votre dernière œuvre ?
-Paulette- Je l’ai donné à un ami, c’était un paysage breton. Sur une revue, j’avais vu une photo. J’ai aménagé un petit peu parce que le tableau était un peu trop long. Donc j’ai peint un peu plus long, mais y’a quand même le respect des dimensions. Après j’ai un peu triché sur l’île de Bréhat. La pointe qui serait du côté gauche, je l’ai mise du côté droit pour l’allonger.
 
-V- Vous avez déjà exposé ?
-Paulette- J’en ai fait, mais vous savez y’a des modes. La peinture, y’en a beaucoup qui s’y sont mis. Et puis les gens, ils dépensent de l’argent dans les marchés nocturnes pour manger, et puis, ils dépensent pas en tableau. L’artisanat se vendait bien y’a 20 ans. C’est dommage maintenant, comme il est tellement arrivé de produits de Chine, de Thaïlande, ça a dévalorisé. Et puis avec l’euro, ça fait pas le même prix. Maintenant, on va dire 20 euros pour une boîte, parce que si on dit plus, les gens vont dire que c’est cher.
 
-V- Vous changez la disposition des tableaux accrochés au mur, parfois ?
-Paulette- Cette pièce, elle est rococo, donc je peux pas mettre les derniers, avec le rouge autour, ça n’irait pas.
 
-V- Vous aimez bien le thème des coquelicots.
-Paulette- Non, c’est pas que j’aime, c’est que c’est à la mode. Mais là, j’aurais pas du mettre du rouge, j’aurais du mettre plutôt un tour vert. Et celui là, on m’a dit que ça ressemblé à un Douanier Rousseau. C’est une photo que j’ai prise dans un jardin du côté de Graullet. Celui là, c’est d’après une photo d’Afghanistan. Cette nana, je l’ai reproduite à partir d’un ancien catalogue de mode. Ça c’est une œuvre que j’ai réalisé avec de la cire chaude. Ça c’est amusant, n’importe qui peut le faire.
 
 
-V- Ça vous est déjà arrivé de jeter une de vos œuvres parce que vous la trouviez ratée ?
-Paulette- Je grogne tout le temps quand je peins. Je suis jamais contente de moi. Ça va pas, ça va pas, ça va pas, et puis après je suis contente. Il m’est arrivé de barbouiller parce que j’avais l’impression que j’avais pas bien fait, et après je me dis, mais pourquoi j’ai pas continué. Y’a des choses que j’ai fait spontanément, par contre, qui n’étaient pas mal. J’en ai vendu, des petits tableaux, des aquarelles.
 
-V- Vous avez des artistes dans votre famille ?
-Paulette- J’avais ma cousine germaine qui faisait de très belles aquarelles. C’était beaucoup mieux que ce que nous faisons maintenant. Oui, on était assez artistes dans la famille, certains musiciens.
 
-V- Avez-vous une référence artistique ?
-Paulette- Oui j’aime bien Gustav Klimt. Autrement je n’aime pas Felon. Je ne pouvais pas le voir. C’était physique. Parce que quand j’étais enfant, y’avais un gros bonhomme qui habitait pas loin de chez nous. Il m’est arrivé de rêver qu’il me poursuivait sur les toits. Il avait un ventre énorme, énorme ! Quand j’ai vu ces dessins de Felon, j’ai pensé à ce gars qui avait un ventre énorme ! Et qui est mort de la syphilis, il paraît.
 
 
-V- Où rangez-vous votre matériel ?
-Paulette- Ho ! J’en ai partout. Et puis là, c’est pour faire une nouveauté pour noël, sur parchemin. On peut en faire des cartes de vœux, pour les anniversaires, des faire-part. Ça c’est du métal et cuir. Je l’ai acheté au moniteur. Maintenant il fait des tatouages à Tahiti.
 
-V- Donc vous faites aussi de la couture ?
-Paulette- Oui, je fais des coussins avec des chevaux, des tissus américains. J’ai fait un stage de patchwork. Mais je m’amuse, je me disperse, je m’amuse. Parce que c’est vrai que je fais rien à fond. J’ai fait ce vitrail. Il serait bien contre une vitre mais j’ai pas une vitre pour le mettre. Il faut que je vive une deuxième vie pour réaliser des choses.
 
 
-V- Vous avez toujours animé des ateliers ?
-Paulette- Non, au départ j’étais modiste. Ma maman était modiste à Monségur, et je devais prendre la suite. Et puis j’ai fait des colos, et des monitrices m’ont dit que c’était dommage que je ne fasse pas l’école de jardinière d’enfants. C’était instit' de maternelles mais beaucoup plus poussé. Elles nous arrivaient pas à la cheville. C’était 2 ans d’études : géologie, botanique, psychologie, médecine, dessin. Il fallait apprendre les astres. On faisait faire des jeux de rythme, des jeux d’équilibre. J’avais été pistonnée par le curé de Monségur, qui était ami avec la directrice. Tout me passionnait, mais je me suis fais étaler en fin d’année parce que j’avais rien révisé. Il me manquait 2 points 75. On n’a pas voulu me rattraper parce que soit disant je débauchais les jeunes filles. C’est elles qui me suppliaient de les amener danser le samedi, à la cité universitaire dans les bals d’étudiants. Moi j’avais 20 ans, mais j’étais vierge. 6 ans après, je suis revenue à Monségur pour reprendre le magasin de maman. Mais y’a eu un petit conflit entre les deux. Moi, je voulais retapisser, faire des trucs. Elle trouvait que j’étais trop orgueilleuse. Et le directeur de l’hôpital de Monségur m’a embauché tout de suite pour faire de l’animation en psychiatrie.
 
-V- Vous êtes passée à 2 doigts d’être modiste.
-Paulette- Maintenant ça me choque beaucoup de rentrer dans une église sans mettre rien sur la tête. Parce qu’on a été éduqué avec un foulard ou quelque chose sur la tête. C’était un rite. C’était le respect.
 
-V- Quelle est votre philosophie ?
-Paulette- Moi, je mets mon grain de sel partout. Je vais vous dire, je suis dans l’année chinoise du rat. Et le rat, c’est un conseillé et un conseilleur. Tout ce que l’on apprend on veut le communiquer. Seulement, on dérange les gens souvent. Quand je rouspète après les gosses qui ont leurs sucettes dans leurs bouches et qui ont 5 ans. Mais je sais que c’est pour leur bien que je le dis. Parce qu’il y a des problèmes de dents après.
Je me suis fait faire une analyse graphologique une fois. On m’a dit que j’étais trop véhémente, que je m’enthousiasmais pour des choses qui ne le méritent pas. Ils le méritent pas les gens que j’agresse. On va pas donner des perles aux cochons ! A quoi ça sert si je me fatigue. Mais ça me fatigue encore plus si je ne dis rien. C’est plus fort que moi.
 
 
30 août 2009, Saint-André-et-Appelles