Rachel Reclus

 
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94 ans, née à Eynesse
« Ce qui compte dans la vie, c’est l’affection, c’est l’amitié.
C’est des choses que l’on ne voit pas. Tout ça, c’est très précieux. »
 
-V- Parlez-nous de votre enfance aux Lèves
-Rachel- Mon père m’avait acheté une bicyclette. J’étais fille unique. J’étais un peu plus gâtée peut-être que certaines. Mes parents étaient très gentils, très sociables. Tellement qu’ils faisaient du théâtre. Ils faisaient du théâtre dans la petite grange au bout des Martineaux. C’était marrant.
Tu sais ce qu’on faisait avec mes copines Jeannette et Germaine ? À l’époque on t’emportait pas les poubelles comme on fait maintenant. Alors y’avait des assiettes toutes cassées, des pots, des jolies choses. Alors on coupait ces petits trucs et ça nous faisait des assiettes. Et on s’amusait à la dînette avec des assiettes cassées. Et on s’amusait très bien.
 
 
-V- Comment s’est passée votre scolarité chez les Sœurs aux Lèves ?
-Rachel- Ho, bé j’avais gagné la croix, parce que j’écrivais bien. J’étais fière comme Artaban. Elles donnaient une sorte de médaille que tu portais, pour la première et la seconde de la classe. On était fière d’avoir la médaille.
 
-V- Vous alliez à pied à l’école ?
-Rachel- Ha ! j’avais un petit vélo mais j’attendais les autres. J’arrivais pas plus tôt que les autres. C’est bien les gosses, tiens !
 
-V- Vous habitiez où ?
-Rachel- Au bord de la route quand on passe aux Martineaux. Et puis y’avait un petit pré où on faisait les feux de la Saint-Jean. Mais les branches ont du avoir poussé depuis le temps. Ils y allaient tous pour y mettre leurs fagots. On y allait tous autant qu’on était dans le village. On y faisait une ronde. On sautait le feu à pieds joints. Et Germaine, ha cette Germaine ! Elle pleurait pour un rien.
Je me souviens toujours aux Martineaux, y’avait un mûr, on y mettait les vaches, et ils avaient trouvé un trésor là. Dans les pierres. Moi étant gosse ça m’avait frappée. Maintenant, y’en a plus. Les gens mettent à la banque.
Y’avait les Peyrat aussi. Il était très sévère lui avec sa fille. Quand elle descendait avec sa trottinette, ho ! J’étais tout à fait enchantée.
 
 
 
 
-V- Qu’avez-vous fait comme travail ?
-Rachel- Quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de possibilités mais y’avait pas les moyens. Mon père est revenu de la guerre et tout ce qu’on lui a donné, c’est un costume Clémenceau. Après il a dit : « je vais me marier », et il a trouvé ma mère. Elle avait eu la grippe espagnole. Elle a faillit mourir. Bon ils se sont plu, ils se sont mariés et ils avaient rien du tout. Ho ! ils ont dit : « on a des bras, on a la santé, on se débrouillera ». Alors, ils sont venus vendanger à Eynesse. Et finalement, mon père, ça lui a plu, et ils sont restés. Ils ont eu des patrons très désagréables.
Je n’ai pas honte de mes parents, parce que c’était des gens extraordinaires. Avec des manières de princes. Très collet monté.
Ils étaient très biens. Et c’était des gens qui étaient toujours contents.
Que ça aille bien, que ça aille mal.
Ils étaient domestiques. Alors quand on faisait la baccade pour les cochons, on leurs tirait les pommes de terre. Et puis après à la saison des choux fleurs, c’était des choux fleurs. Et puis un jour mon père a dit : « on va pas durer longtemps comme ça. Je veux pas en crever ».
Alors moi je suis née à Eynesse. Alors j’étais très rouge, très rose, très jolie à l’époque. Maintenant je suis vieille et ridée. Alors la patronne disait : « si ça s’achetait, je l’achèterais ». Et ce bébé, il était pas trop bête. Alors quand j’avais 4 ou 5 ans, je chantais très bien. Alors on me mettait sur les tables. On me faisait chanter facilement. Mais j’ai toujours eu des possibilités artistiques. J’ai un piano, j’ai un violon qui fait rien. J’en fait encore mais maintenant, j’ai plus envie. J’aimais beaucoup la musique, la peinture. Tout ce qui est art.
 
-V- Vous avez pris des cours ?
-Rachel- Quand j’allais à l’école de musique, on nous prenait 5 francs de l’heure. J’y suis allée un temps mais pas longtemps. Alors les gens disait : « ha regarde-la, au lieu d’apprendre le violon, elle ferait mieux d’aller coudre ! ».
 
 
-V- Vous aviez votre propre violon ?
-Rachel- On me l’avait acheté à Saint-Etienne, je crois. J’avais 14 ans.
Et encore, tout ce qui est musique, ça me plait infiniment.
 
-V- Qu’est ce que vous aimiez en particulier ?
-Rachel- N’importe quoi. J’avais tout dans la tête. Je jouais la bourrée.
 
-V- Et le piano ?
-Rachel- Je l’ai appris de tête. Je peux vous plaquer n’importe quoi, comme ça, de tête. Mais, il est faux. Il faudrait le faire accorder.
 
 
-V- Une philosophie de vie ?
-Rachel- Vous savez je suis très croyante mais pour moi la messe c’est un peu trop folklorique. Ce qui compte dans la vie, c’est l’affection, c’est l’amitié. C’est des choses que l’on ne voit pas. Tout ça, c’est très précieux. Un moment que vous passez. Un moment où vous êtes très heureux, d’autres moins. Mais il faut toujours demander. Parce que Dieu a dit : « demandez, vous recevrez. Frappez, on vous ouvrira ». Et moi, j’ai toujours cette pensée. Mon mari n’était pas croyant, mais il faisait tout bien, et il allait droit. Et moi, je pense qu’il est près de Dieu. Il était juste, il était bon, il était droit. D’ailleurs ma fille a son caractère. C’est mon ange gardien. Elle gagne à être connue.
Si on parle de la religion, moi ils m’ont un peu écœuré. Pendant la guerre, j’avais 20 ans et j’allais à la messe tous les dimanches, j’allais chanter. On m’avait toujours dit : « faire le bien pour le mal, tends la joue… ». On m’avait fait bien la morale. Et quand la guerre a éclaté, que les allemands ont fait tant de mauvaises choses aux uns et aux autres, et que les français s’étaient détournés, y’en a certains qui allaient à la messe tous les dimanches. Ça, ça m’avait retourné. À ce moment-là, j’ai dit : « je me marierai avec n’importe qui, pourvu qu’il soit pas bossu, ni tordu. Pourvu que ce soit un beau garçon ». C’est ce que j’ai fait. Je me suis mariée avec un protestant. Et je suis toujours dans cette maison.
C’est la maison des Reclus.
 
 
-V- Comment s’est passée la rencontre avec votre mari ?
-Rachel- Les gars étaient respectueux à l’époque. On se touchait pas comme ça. On était sage. Et j’avais raison. C’est tout ce qu’il me restait de richesse. La pureté. C’était bien, parce que le bonhomme respectait. Autrefois, on avait le jupon jusqu’aux chevilles. Quand un jeune homme voyait une cheville, ho la la ! Après c’est monté un peu, ça a été le mollet. Ho la la, ce mollet qu’il était beau ! Celui là était un peu maigre ou cagneux. Après ça a monté. Parce que moi, quand je me suis mariée en 45, déjà, ma robe de mariée était aux genoux.

Je vous dis l’histoire de ma robe ?
Je faisais du tabac à une époque. J’avais touché 3000 francs. Moi je dis : « je veux m’acheter une robe blanche, parce que je la mérite ». Merde c’était tout ce que j’avais, toute ma fortune. Je vais à Sainte-Foy chercher du tissu. On m’envoie chez les juifs. C’était le marché noir. Tu t’enfilais dans une ruelle. Ils avaient des chaussures. Ils avaient de tout. Ha c’était un drôle de temps ! Alors il me dit : « y’en a pour 3000 francs ! ».
 
-V- Vous alliez au bal ?
-Rachel- Le dimanche on y allait. Y’avait du plancher ciré. On se faisait des farces. Y’avait une grande qui arrivait du Sac. Toujours habillée un peu excentrique. Elle portait des grandes robes, alors on lui accrochait une épingle pour la remonter. On rigolait.
Après mon mariage je suis allée nulle part. J’ai plus dansé. Mon mari n’aimait pas danser.
 
 
-V- Alors vous faites quoi de vos journées maintenant ?
-Rachel- Je lis des romans d’amour. Ha oui, tout ce qui sentimental, ça va. Le reste, les coups de pétards, tout ça, moi j’aime pas. J’aime pas l’agressivité. Ça me dérange. Je suis trop sensible.
 
 
Rachel joue un morceau de piano (1,6 Mo)
 
22 novembre 2014, le Fleix